La Suisse, reconnue comme plaque tournante mondiale de la gestion de fortune privée, joue un rôle central dans le secteur des services financiers. Bien qu’elle soit étroitement alignée sur les tendances financières mondiales, la Suisse y ajoute son cachet distinctif.
Dans cet article, nous examinerons quatre tendances et développements émergents susceptibles de façonner l’industrie dans les années à venir :
1. La demande croissante d’investissements durables a suscité une surveillance accrue de la part de divers milieux, notamment des autorités gouvernementales, de l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) et du secteur lui-même.
2. La mise en œuvre de la loi fédérale sur les services financiers (LSFin) et de la loi fédérale sur les établissements financiers (LEFin) au 1er janvier 2020 touche à son point culminant et exerce une influence de plus en plus tangible sur le marché. Cet impact comprend des réglementations plus clémentes régissant l’offre de programmes d’investissement étrangers à des investisseurs qualifiés et de nouvelles conditions préalables en matière d’autorisation pour les gestionnaires de portefeuille et les gestionnaires supervisant les actifs collectifs.
3. À la suite de l’annonce de la fusion entre le Crédit Suisse et l’UBS le 19 mars 2023 et des mesures prises par la Confédération suisse et la Banque nationale suisse (BNS) pour garantir la stabilité financière pendant et après la reprise, la FINMA a ordonné Le Credit Suisse va déprécier entièrement ses instruments supplémentaires de niveau 1 (obligations AT1).
4. Le marché anticipe l’avènement d’un nouveau cadre pour les investissements alternatifs : le fonds d’investisseur qualifié limité (L-QIF). Cette catégorie de fonds s’adressera exclusivement à des investisseurs qualifiés, tout en contournant les obligations de licence.
ESG et greenwashing
Ces dernières années, une zone d’expansion constante a été observée sur le marché des produits financiers durables. Dans le cadre de cette tendance, il y a eu une prolifération substantielle d’offres financières ESG et autres offres financières liées au développement durable. Pour mettre en lumière ce paysage dynamique, nous avons souligné les points clés :
• Initiatives financières durables du Conseil fédéral suisse : en décembre 2020, le Conseil fédéral suisse a adopté des mesures concrètes visant à renforcer la durabilité de la place financière suisse. L’objectif primordial était de renforcer la position de la Suisse en tant que destination de premier plan en matière de services financiers durables. Cependant, ces initiatives doivent encore se traduire par des changements législatifs spécifiques.
• Priorité ESG et préoccupations en matière de greenwashing : l’attention actuelle portée à l’ESG (environnement, social et gouvernance) et à la durabilité est d’une importance capitale non seulement pour les produits qui intègrent ces facteurs, mais également pour les clients et les investisseurs qui pourraient être susceptibles d’être victimes d’informations erronées sur les attributs de durabilité. des produits et services financiers, un phénomène connu sous le nom de « greenwashing ».
• Absence de cadre juridique suisse : le droit suisse manque de dispositions explicites contre le greenwashing, comme celles trouvées dans la loi sur les services financiers (LSFin) ou dans la loi fédérale sur les placements collectifs du 23 juin 2006 (LPCC). La FinSA, en particulier, ne prescrit pas d’obligations spécifiques concernant la prise en compte des préférences d’un client en matière de durabilité lors de la vente de produits financiers. De plus, la Suisse n’a pas adopté le système taxonomique de l’UE.
• Réponse de la FINMA : en réponse à la demande croissante de produits ESG et au risque de greenwashing, l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) a annoncé dans son orientation FINMA 05/2021 qu’elle orienterait ses efforts de réglementation et d’application vers la prévention du greenwashing. La FINMA s’est engagée à utiliser tout son arsenal réglementaire et de surveillance pour résoudre ce problème, notamment en clarifiant les informations nécessaires pour les fonds suisses qualifiés de durables.
• Limites imposées aux prestataires de services financiers : pour les prestataires de services financiers et les fonds étrangers, le pouvoir de la FINMA est quelque peu restreint en raison de l’absence d’exigences de transparence concernant la durabilité au point de vente dans le droit suisse. La FINMA a indiqué qu’elle n’agirait que si la loi l’exige expressément. Cette position est relativement conservatrice, dans la mesure où la FINMA aurait pu invoquer l’exigence fourre-tout « fit and proper » pour remédier aux lacunes des banques, des compagnies d’assurance et d’autres institutions financières surveillées.
• Lignes directrices de l’Association suisse des banquiers : en juin 2022, l’Association suisse des banquiers a publié des lignes directrices instruisant les prestataires de services financiers sur l’intégration des préférences et des risques ESG dans le conseil en investissement et la gestion de portefeuille. Ces lignes directrices exigent que les banques membres évaluent les préférences de leurs clients en matière de durabilité dans le cadre de l’évaluation de l’adéquation et, dans le cadre de leurs relations de conseil, proposent des produits alignés sur ces préférences. Ces lignes directrices sont entrées en vigueur le 1er janvier 2023 et s’imposent aux membres de l’association.
• Application et impact indirect : Même si les lignes directrices n’établissent pas de mécanisme d’application au-delà des audits obligatoires, la non-conformité peut ne pas rester sans réponse. Cela pourrait être considéré comme une norme minimale d’autoréglementation au titre de l’exigence « d’aptitude et de compétence », ou les tribunaux civils pourraient utiliser ces lignes directrices pour interpréter le devoir de diligence dû par les conseillers en investissement ou les gestionnaires de portefeuille dans les contrats de mandat. En fin de compte, cette exigence d’adéquation, applicable uniquement au point de vente, pourrait indirectement alimenter une demande accrue d’investissements durables, dans la mesure où les prestataires de services financiers cherchent à s’aligner sur les attentes de leurs clients.
Déploiement en cours de la LSFin et de la LFinA
Le paysage financier suisse reste influencé par la mise en œuvre de la FinSA et de la FinIA, marquant le passage d’une réglementation sectorielle à un cadre global englobant tous les services financiers, à l’exception des banques et des compagnies d’assurance. Nous décrivons ici les principales facettes de cette transformation réglementaire :
• Champ d’application de la réglementation : la FinSA et la FinIA ont élargi leur champ d’application réglementaire pour couvrir tous les services et institutions financiers, à l’exclusion des banques et des compagnies d’assurance.
• Accent mis sur les offres : le nouveau cadre réglementaire se concentre sur le concept d’« offres » d’instruments financiers, par opposition à la terminologie précédente de « distribution ». Bien que ce changement puisse paraître nuancé, il revêt une importance particulière en raison de l’article 127a de l’ordonnance sur les placements collectifs, qui considère que toute forme d’annonce de fonds déclenche les exigences correspondantes.
• Règles d’offre assouplies : les nouvelles règles facilitent notamment l’offre de placements collectifs de capitaux en supprimant l’obligation de désigner un représentant et un agent payeur suisse pour les placements exclusivement proposés à des investisseurs qualifiés. Cette exonération ne s’applique pas aux personnes fortunées optant pour le statut d’investisseur professionnel.
• Conformité simplifiée : les gestionnaires de fonds et les prestataires de services financiers peuvent désormais contourner la nomination d’un représentant et d’un agent de paiement suisses si leurs fonds ne sont pas commercialisés auprès de professionnels électifs et de clients privés, à l’exception des investisseurs qualifiés utilisant les services d’un gestionnaire de portefeuille ou d’un conseiller en investissement.
• Modification de l’autorisation : la LFin a également apporté une modification à la LPCC, supprimant l’obligation d’autorisation pour les distributeurs de placements collectifs. Ce changement visait à rationaliser le paysage réglementaire, car l’autorisation précédente n’impliquait pas une surveillance continue de la FINMA et était considérée comme redondante.
• Dépendance réglementaire : Au lieu de cela, la nouvelle loi met l’accent sur les règles de conduite au sein de la FinSA, ainsi que sur la nécessité d’enregistrer les conseillers à la clientèle et, en fonction de la clientèle, de rejoindre une organisation de médiation. Cette approche vise à garantir la conformité des prestataires de services financiers qui ne sont pas directement supervisés en tant qu’institutions financières.
• Impact sur les sponsors de fonds : le poids de ces nouvelles exigences pèse principalement sur les sponsors suisses et étrangers souhaitant commercialiser leurs fonds auprès de professionnels électifs suisses ou de clients privés. En revanche, les prestataires de services financiers s’adressant exclusivement à une clientèle professionnelle peuvent bénéficier de certaines mesures d’allégement et présomptions en vertu des règles de conduite.
• Clôture de la période de transition : La période de transition pour les gestionnaires de portefeuille et les fiduciaires s’est terminée le 31 décembre 2022. Cela a marqué un changement pour ces entités, qui étaient auparavant réglementées uniquement à des fins de lutte contre le blanchiment d’argent. Les gestionnaires de fortune qui opéraient auparavant sous le régime d’une dispense d’agrément de minimis en tant que gestionnaires de placements collectifs devaient obtenir une autorisation de la FINMA. Le non-respect de ces règles les expose désormais à d’éventuelles mesures administratives ou pénales.
En résumé, le secteur financier suisse s’adapte à un cadre réglementaire complet, en introduisant des changements dans les offres, les exigences de conformité et les licences pour les différents acteurs du marché.
Abandon des obligations AT1 du Credit Suisse dans le cadre de la fusion avec UBS
Le 19 mars 2023, un effort de collaboration impliquant le gouvernement suisse, la Banque nationale suisse (BNS) et l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA), en collaboration avec l’UBS et le Crédit Suisse, a exécuté un plan de fusion d’urgence. Dans le cadre de cet accord, UBS devrait absorber le Crédit Suisse via un paiement de 3 milliards de francs (environ 3,3 milliards de dollars) en actions UBS. Cette évolution importante englobe également plusieurs autres mesures critiques :
• Abandon total des obligations AT1 du Credit Suisse : dans le cadre de la procédure de fusion, la FINMA a ordonné l’abandon total des obligations AT1 du Credit Suisse, pour un montant d’environ 16 milliards de francs. En Suisse, les instruments AT1 sont structurés de manière à déclencher une dépréciation ou une conversion en fonds propres avant que les fonds propres de la banque ne soient entièrement épuisés ou dépréciés. Les conditions spécifiques de ces obligations AT1 prévoient leur annulation totale en cas d’« événement de viabilité », notamment en cas de prolongation du soutien exceptionnel de l’État.
• Mesures de liquidité du gouvernement : parallèlement à la fusion, le Conseil fédéral a mis en œuvre des mesures de liquidité afin d’assurer le fonctionnement ininterrompu du Credit Suisse jusqu’à la finalisation de la fusion. Ces mesures permettent à la Banque nationale suisse de fournir une aide supplémentaire en matière de liquidités, renforcée par des droits privilégiés en cas de faillite et une garantie contre le défaut du gouvernement suisse. Ces actions ont été promulguées par une ordonnance d’urgence.
• Garantie gouvernementale pour pertes potentielles : en outre, le gouvernement a émis une garantie pour absorber les pertes potentielles résultant de certains actifs transférés à l’UBS dans le cadre de la transaction. Compte tenu de ces évolutions, la FINMA a estimé que les conditions préalables à l’annulation des obligations AT1 étaient remplies, ce qui a conduit à l’adoption d’une directive visant l’annulation complète de toutes les obligations AT1.
Cette décision a provoqué une onde de choc au sein de la communauté des investisseurs AT1, principalement composée d’investisseurs institutionnels. Certains de ces investisseurs ont récemment intenté une action en justice contre la FINMA afin de contester la radiation. L’issue de ces contestations judiciaires reste incertaine, car elle dépend de la base contractuelle sur laquelle ces réclamations sont formulées. La situation est surveillée de près, avec des conséquences potentielles sur le paysage financier plus large.
Le L-QIF : une nouvelle structure pour les fonds d’investissement
Récemment, la Suisse a remédié à ses insuffisances en matière de création de fonds d’investissement en introduisant un nouveau véhicule d’investissement, le Limited Qualified Investor Fund (L-QIF). Cette initiative visait à encourager le recours aux structures suisses pour les investisseurs nationaux. Le L-QIF propose un placement collectif flexible et efficace, calqué sur le fonds d’investissement alternatif réservé luxembourgeois, avec plusieurs caractéristiques remarquables :
• Préférences de fonds inversés : historiquement, les gestionnaires d’actifs suisses favorisaient les juridictions étrangères comme les îles Caïmans ou le Luxembourg pour la création de fonds, même pour les investissements axés sur la Suisse. Pour inverser cette tendance, le gouvernement suisse a proposé la création du L-QIF.
• Approbation législative : après un processus législatif fluide, un projet de loi modifiant la loi sur les placements collectifs (LPCC) pour établir des L-QIF est devenu loi le 17 décembre 2021. Il devrait entrer en vigueur au second semestre 2023, suite à la finalisation des ordonnances d’exécution.
• Configuration simplifiée : le régime L-QIF permet aux directions de fonds suisses et aux gestionnaires suisses de fortune collective de constituer des fonds contractuels, des SICAV (sociétés d’investissement à capital variable) ou des sociétés en commandite de placements collectifs sans demander l’approbation préalable de la FINMA (Marché Financier Suisse). Autorité de Surveillance). Cela réduit les délais de mise sur le marché et les coûts de conformité.
• Priorité aux investisseurs qualifiés : les investissements L-QIF sont principalement réservés aux investisseurs qualifiés, notamment aux investisseurs institutionnels et professionnels, ainsi qu’aux clients privés engagés dans des relations de gestion de portefeuille à long terme ou de conseil en investissement avec des institutions financières réglementées.
• Mécanismes de surveillance : la gestion des actifs des L-QIF peut être déléguée à des gestionnaires de fortune collectifs suisses sous LinIA ou à des gestionnaires de fortune étrangers sous réserve d’accords de surveillance et de coopération appropriés.
• Flexibilité d’investissement : les L-QIF ne sont pas soumis à des directives d’investissement spécifiques ni à des exigences de diversification des risques. Ils offrent de la transparence dans la documentation des fonds mais autorisent un large éventail de classes d’actifs, notamment les titres traditionnels, les instruments du marché monétaire, l’immobilier, les matières premières, les crypto-actifs et l’art.
• Flexibilité de diversification : contrairement aux fonds traditionnels, les L-QIF peuvent investir tous les fonds dans un seul actif ou type d’actif, à condition que les critères de valorisation et de liquidité soient respectés. Ceci est idéal pour les stratégies d’investissement ou les classes d’actifs non traditionnelles.
• Traitement fiscal : les L-QIF bénéficient du même traitement fiscal que les autres fonds suisses, ce qui les rend attractifs pour les investisseurs institutionnels suisses et les particuliers fortunés.
• Limites : les L-QIF sont soumis à des restrictions sur les transactions entre parties liées, ce qui les rend moins adaptés à la restructuration de portefeuilles immobiliers.
Essentiellement, les L-QIF représentent une étape importante dans les efforts de la Suisse visant à améliorer son écosystème de fonds, en offrant un véhicule d’investissement flexible, efficace et fiscalement avantageux, principalement adapté aux investisseurs nationaux et aux particuliers fortunés.